Semaine 18 : Rupture
Revenue à Bougouni pour reprendre le travail mis de côté pendant la semaine du Colloque, je me suis sentie près de mon point limite. Après une altercation avec le coordonnateur en présence de toute l’équipe du bureau, j’ai quitté lieu de travail et domicile, puisque l’un et l’autre ne font qu’un, et je suis partie en quête d’air. Des mains invisibles m’étranglaient, un corps absent me comprimait, des coups non portés me blessaient; j’avais besoin de m’évader, de me retrouvée, de reprendre le contrôle sur moi-même.
J’ai passé la journée à errer ici et là visitant les uns et les autres dans l’esprit de me calmer et de me changer les idées trop concentrées sur le boulot. La force de quelqu’un réside dans sa capacité à savoir s’arrêter avant d’atteindre la limite de ses capacités. Je pense que j’étais à deux doigts, si ce n’est qu’un seul, de franchir cette ligne de rupture. Assez! J’en avais assez! Je venais de traverser trois semaines infernales à m’oublier totalement et trois mois à me donner sans retenue dans un travail que certes j’adore, mais qui a monopolisé l’ensemble de mes énergies.
Frustrations. Frustrations. Frustrations. C’est le quotidien des expatriés. Mon patron venant en mission à Bougouni, j’ai profité de cette courte visite pour réfléchir sur la suite des événements et partager mon sentiment de malaise. Les attentes étaient tellement élevées que depuis quelques temps, j’avais négligé un aspect très important : les relations interpersonnelles. Je continuais à voir les personnes que je fréquente à l’extérieur du bureau, mais je n’arrivais plus à accorder du temps à mes collègues ou aux gens gravitant autour de l’organisme. Je ressentais ce manque, mais je ne m'étais pas rendue compte que ce dernier était présent des deux côtés : le mien et celui de mes confrères.
J’ai donc rencontré le coordonnateur de l’équipe ainsi que mon patron, cette dernière étant sans aucun doute celle qui me connaît le mieux, et nous avons convenu que je reléguais en second plan le travail. Je priorisais ainsi le côté social et je prenais le temps de me reposer. Il était hors de question que je continue à ce rythme. J’avais l’urgence de prendre soin de moi. La tension était devenue insupportable. J’en venais à courber les épaules et à tourner mon regard vers le sol. Redresse-toi Yaye! C’est ce que ma conscience me dictait en ce moment. Je me suis donc dégagée de mes papiers et de mon ordinateur, j’en ai déjà fait plus que demandé.
C’est ainsi que j’ai été amené à assister à une conférence sur l’excision avec une agente en développement local. Cette pratique étant très courante au Mali, j’avais envie d’en apprendre davantage sur le sujet. Le taux de jeunes filles excisées à Bougouni est de 98%! Le plus souvent ce sont les vieilles femmes qui s’en chargent dès que le bébé est baptisé, c’est donc dire qu’il a à peine quelques jours. L’excision est généralement perçue comme étant le corollaire de la circoncision chez le garçon. Bien sûr, il y a une large différence, mais c’est pourtant la vision qui domine. On considère le clitoris comme étant la partie impure de la femme au même titre que le prépuce chez l’homme. La femme qui est non excisée est donc sale et même que les hommes peuvent refuser de la marier pour cette simple raison. Cette pratique est tellement encrée dans les traditions qu’on l’attribut souvent faussement à la religion.
Ce qui est vraiment déplorable, c’est que les personnes même qui organisent des campagnes contre l’excision sont elles-mêmes les premières à soumettre leurs jeunes filles au « couteau ». De ce fait, elles perdent leur total crédibilité et les gens assistent davantage pour récolter leur perdiem à la fin de la journée, prendre un bon repas et se désaltérer d’une sucrerie [boisson gazeuse]. En discutant avec les personnes présentes, j’ai pris conscience qu’elles ne perçoivent nullement la mutilation reliée à cette pratique. Éduquées ou non, elles adoptent le même point de vue : c’est ainsi depuis des centaines d’années, pourquoi cela en irait-il autrement aujourd’hui?
J’ai aussi profité du samedi soir pour me livrer à mon exercice préféré : danser! Enfin, une soirée organisée dans mon gros village! Accompagnée de Christophe, souvenez-vous du volontaire Français fraîchement débarqué dans ma rue, ainsi que de 4-5 amis Maliens, nous sommes sortis en boîte. Quel délice! La musique était extra et je me suis défoulée avec un plaisir inouï. Il faisait tellement chaud qu’en moins d’une heure, je me suis retrouvée complètement trempée des pieds à la tête. Mon état était équivalent à quelqu’un qui se jette dans une piscine sans prendre le temps d’enlever ses vêtements. Rentrée en plein milieu de la nuit, je me sentais bien et là il m’a été permis de respirer librement.
Apprentissage du moment : Savoir se respecter